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  • alexdetilly

Le sang est un tissu dans lequel les composants ne sont pas toujours à la même place, une suspension de cellules, de globules, dans un liquide, le plasma, mais aussi un liquide porteur, comportant des fluides, des corpuscules et des molécules complexes : un milieu polyphasique. Les cellules occupent entre 40 % et 50 % du volume cellulaire ; c’est l’hématocrite. (Hematology: Basic Principles and Practice, 6th ed. (2013). Shauna C. Anderson and Keila Poulsen)



COMMENT VOYAGENT LES COMPOSANTS DU SANG ?


D'un point de vue hémodynamique, il existe 3 "flow patterns", formes principales de l'écoulement dans l'arbre vasculaire :


  • L'écoulement théorique de Poiseuille

    • profil de vitesse parabolique qui n'est pas observé dans les écoulements de sang

    • vitesse maximum mais qui correspond à l'écoulement dit "bouchon" ou plug flow, que l'on peut mesurer par Doppler

    • vitesse moyenne par intégration du profil de vitesse

    • shear stress, qui nécessite la viscosité apparente, valable dans les vaisseaux de diamètres supérieurs à 300µm.

    • shear rate, qui dérive du profil de vitesse à la paroi

    • le rapport entre le gradient de pression et le débit, valable pour la viscosité apparente dans les vaisseaux de diamètres supérieurs à 300µm


  • L'écoulement bouchon observé par Doppler ou MRI

    • concentration de globules rouges au centre des vaisseaux

    • la couche limite pauvre en globules rouges qui peut occuper jusqu'à 2/3 du diamètre

    • vitesse du bouchon mesurable par Doppler

    • shear stress qui nécessite soit la viscosité du plasma et HcT, soit des mesures de pression

    • shear rate qui nécessite un profil de vitesse

    • la sous-couche limite plasmatique de 2µm


  • Les écoulement turbulents observés par Doppler ou MRI

    • à l'aval des valves

    • à la sortie du

    • dans les embranchements avec des dépôts

    • sténose



Quelques exemples du plug flow et du sheath flow

soit par des mesures de vitesses,

soit par des mesures de concentrations des composants

dans les vaisseaux







Dans l'antiquité, la viscosité était une propriété contrôlée pour les revêtements de surfaces à imperméabiliser comme le goudron sur la coque en bois des navires, elle se mesurait par rapport à la taille des gouttes. La viscosité renvoie à ce qui colle (gui) mais aussi à ce qui est courbe comme la perle, ou la goutte.


La viscosité est à l'origine du rotationnel dans les tourbillons de fluides.


Définition de la viscosité par Newton :



La définition mathématique représente la proportionnalité, une relation linéaire, entre la force de frottement τ  entre deux particules, et la différence de vitesses de chacune de ces particules. Le coefficient de proportionnalité est appelé "viscosité".


On peut étendre cette définition particulière à deux plans ou couches, telles des feuilles fluides qui se meuvent tangentiellement l'une sur l'autre :




D'un point de vue de la mécanique des fluides continus, entre deux plans très peu espacés, les lignes de vitesses suivent un gradient linéaire, si bien qu'il suffit de prendre les deux lignes extrêmes Vm et Vm+dV :




La formule d'Einstein traduit le mouvement brownien, le choc entre les particules parfaites, qui est à l'origine de la viscosité :





Duclaux (1940) montre que le mouvement brownien nécessite des particules parfaites (sphériques), en équipartition. (J. Duclaux. Le mouvement brownien et la formule d’Einstein. J. Phys. Radium, 1940, 1 (3), pp.81-84



La viscosité du milieu continu au sens de Couette ou de Poiseuille (Hermann Schlichting et Klaus Gernsten, Boundary Layer Theory, Springer, 1955) correspond à l'échelle qui suit le mouvement brownien : à l'échelle nanoscopique, la matière est granulaire faite d'atomes ou de petites molécules dans le mouvement brownien, mais à l'échelle micrométrique, la matière est continue, c'est-à-dire que la densité, élasticité ou la viscosité sont continues. A cette échelle, les fonctions du mouvement ou de l'énergie sont "continument" dérivables : énergie, vitesse, pression, ... Les équations de Navier-Stokes permettent de modéliser les fluides continus grâce à des relations entre les forces, la pression, les vitesses et les propriétés des fluides.




Les modèles théoriques de viscosité du sang :  L'estimation de la viscosité sanguine emploie communément la viscosité de Couette. L'estimation du shear dans un vaisseau emploie la formule parabolique de Poiseuille.



Peut-on réellement parler de viscosité du sang ?


Par définition, un fluide est une solution, la plupart du temps, homogène par conséquent en concentration, de molécules qui changent parfois de forme avec le shear rate, ce qui a pour effet de modifier la viscosité. Un fluide non Newtonien est ainsi une solution dont la viscosité change avec le shear rate.

Des expérimentations sur la viscosité du sang selon le modèle de Couette montrent que la viscosité « apparente » varie avec le shear rate ou le shear stress. Les variations de viscosité du sang sont surtout, en lien avec le plasma, dues à la migration massive des globules rouges : “his reduction in viscosity is a result of RBCs being excluded from the working portion of the bearing—that is, the gap between bearing faces” (Leslie et al, 2013).

La plupart des expérimentations sur des tubes de diamètre supérieur à 300µm montre que le sang n'a pas un profil de vitesse parabolique mais plutôt un écoulement bouchon du fait, de nouveau, de la migration massive des globules rouges au centre du vaisseau (Yeleswarapu, K. K., Kameneva, M. V., Rajagopal, K. R., & Antaki, J. F. (1998). The flow of blood in tubes: theory and experiment. Mechanics Research Communications, 25(3), 257-262.).


Le sang n'est un pas un fluide mais une suspension.



  • alexdetilly

La nature diphasique microscopique dans la dynamique du sang.


L'ordre et la forme du sang total à l'échelle microscopique peuvent s'évaluer en analysant la diffraction de lasers de différentes longueurs d'ondes ( notamment Oliver Greffier, Alexandre de Tilly et Jean-Paul Decruppe, Université de Lorraine Institut de Chimie Physique & Matériaux (ICPM) Laboratoire de Chimie Physique (LCP-A2MC), résultats publiés en 2015 (ISB-ISCH Séoul)). On observe l'expulsion des globules rouges dans une cellule rotative cone-plan d'Anton Paar grâce au light scattering. La concentration de globules dans la cellule augmente dans les zones de vitesses les plus élevées et le phénomène est accru par la vitesse de rotation.



A l'échelle microscopique, nous pouvons voir au microscope la nature diphasique locale du sang ainsi que la répartition hétérogène des globules rouges dans diverses géométries avec des mesures de µPIV à haute fréquence d'acquisition ( Alexandre de Tilly, Hervé Willaime (ESPCI), Viriato Semiao et Carlos Completo (IST Lisbonne), (résultats publiés au symposium de microfluidique de Toulouse en 2010) :


Différentes expériences avec des fluides de similitude (xanthan) du sang au sens de Couette ont montré que ce sont les globules rouges, et non la viscosité, qui altèrent la forme de l'écoulement. On voit que le tourbillon apparaît pour le sang de lapin mais pas pour le fluide de similitude, et le tourbillon apparaît bien pour l'eau :



On voit donc que la viscosité et les globules rouges ne peuvent faire état du même paradigme dans l'écoulement, la viscosité étant un paramètre microscopique.


Comme le montrent ces complexes de globules au repos (Fahraeus, 1929), la composition locale microscopique du sang est hétérogène : complexes de globules rouges dans le plasma.



Fahraeus a montré qu'en cas d'inflammation, les agrégats, plus gros, circulent au centre des vaisseaux, laissant le plasma plus fluide près des parois (à droite). La séparation est plus ou moins nette entre le plasma et les globules rouges.



Thurston (1975) a modélisé l'épaisseur de la couche limite laminaire t entre la paroi et l'écoulement bouchon p.



Notamment, plus t est petite et plus la friction visqueuse, de viscosité ηs dépendant de la viscosité de la couche limite ηbz à la paroi, est amplifiée:



Le comportement du sang dans le modèle pour fluide continu de Couette et Poiseuille


Deux techniques, de Poiseuille et de Couette, ont été inventées pour des fluides continus, des solutions donc a priori sans particules ou corpuscules. Le modèle de Couette implique une (parfaite) égale répartition des composants, et une continuité rectiligne du shear rate entre les deux cylindres ou les deux plans parallèles (en rouge). La loi de Poiseuille est double : (1) la forme parabolique du profil de vitesse mais ce profil n'est jamais obtenu pour le sang puisque l'on observe plutôt le profil de Thurston, et, (2) la relation entre le débit et la chute de pression par friction obtenue pour des diamètres supérieurs à 300µm (Fahraeus, 1929). La loi (2) montre que le coefficient de perte de charge visqueuse est proportionnel à la puissance -4 du diamètre, proportionnel à la viscosité du liquide, et proportionnel à la longueur du vaisseau. Lorsque l'on met du sang dans une cellule de Couette, on obtient une courbe de viscosité rhéofluidissante (courbe de droite).




Transposable ? 

Normalement la viscosité d'un fluide continu et homogène est la même dans tout type d'écoulement ou de vaisseau (Poiseuille ou Couette). Mais le sang ou une suspension sont discontinus et les résultats montrent des disparités :



Toutes les suspensions, pratiquement, ne se comportent jamais de manière continue dans une cellule de Couette ou un écoulement de Poiseuille, en effet, on observe une séparation macroscospique :


Dbouk, T., Lemaire, E., Lobry, L., & Moukalled, F. (2013).

Shear-induced particle migration: Predictions from experimental

evaluation of the particle stress tensor. Journal of Non-Newtonian

Fluid Mechanics, 198, 78-95.


Ahnert, T., Münch, A., Niethammer, B., & Wagner, B. (2018).

Stability of concentrated suspensions under Couette and

Poiseuille flow. Journal of Engineering Mathematics, 111, 51-77.


Quelques exemples sur la séparation macroscopique du sang


La sédimentation est l'exemple majeur de la séparation macroscopique, elle peut accélérer par centrifugation. A ce sujet, la vitesse de sédimentation est un indicateur d'agrégation et d'inflammation.



Des expérimentations montrent que les suspensions se séparent différemment selon la géométrie (Rhéophysique des fluides complexes : écoulement et blocage de suspensions, Abdoulaye Fall, 2008), (The viscosity and viscoelasticity of blood in small diameter tubes, George B. Thurston, 1975) :



Allbutt (1915) : "experimenters do not hesitate to bring these methods into serious doubt ; they are far from sure that Poiseuille's law, which is true for solutions, holds also for suspensions, and especially for suspensions in which the floating particles are, relatively speaking, large, and also various in size. May not such corpuscles transform the mode of motion and of friction from cylinder within cylinder into that of one cylinder of the same rate in all parts of the transverse section?"


Comment estimer le "wall shear rate" WSR in vivo ?


Le WSR se définit par la dérivée de la vitesse dV/dy à la paroi (V est la vitesse, y est l'ordonnée).


Reneman, R. S., Arts, T., & Hoeks, A. P. (2006). Wall shear stress–an important determinant of endothelial cell function and structure–in the arterial system in vivo: discrepancies with theory. Journal of vascular research, 43(3), 251-269.



Dans des écoulements sanguins dans des tubes transparents en PDMS (diamètre 310µm), grâce à la µPIV, le profil de vitesse du SANG (sang de chien) est mesuré : le profil près des parois est semblable à un début de parabole (sheath flow) et devient plat au centre (plug flow), on ne voit pas la parabole de Poiseuille.



Le shear rate à la paroi confirme le profil plat au centre et parabolique sur les côtés :



Comment estimer le "wall shear stress" WSS dans un vaisseau ou in vivo ?


Par définition, WSS = ηsf WSR où ηsf est la viscosité du sang en proche paroi, dans le sheath flow (sf). Comme le sang dans un vaisseau se sépare entre le plasma et les globules rouges, de manière plus ou moins nette, la viscosité en proche paroi n'est pas nécessairement celle du plasma pur et il est difficile de mesurer ηsf exactement car le plasma comporte des globules rouges en quantité variable.


D'un point de vue physique, WSS entraîne une perte de pression dP=P2-P1 dans un vaisseau de rayon R. Il est possible de munir un vaisseau de capteurs de pression P1 et P2.


Si la viscosité apparente du sang total νt est constante comme dans les vaisseaux de diamètres supérieurs à 300µm :






On peut donc mesurer WSS en mesurant la perte de pression dP le long du vaisseau. dPxS = WSSxPexL. La pression dans la section du vaisseau, pour des raisons de quantité de mouvement, est homogène. S est la surface de la section du vaisseau, Pe est le périmètre mouillé du vaisseau, et L en est la longueur.


Viscosité locale du sang dans un vaisseau et in vivo


En mesurant dP, on peut en déduire WSS et, par une mesure de WSR grâce au profil de vitesse V(y), on peut en déduire la viscosité locale dans l'écoulement


ηsf(y) = WSS / WSR(y)


On peut comparer les courbes de viscosité d'un même échantillon de sang en fonction du shear rate dans le vaisseau (local) et dans une cellule de Couette. Effectivement la viscosité du sang est plus faible quand le taux de cisaillement augmente près des parois mais la viscosité locale vers le centre du vaisseau est beaucoup plus élevée à bas shear rate que dans la cellule de Couette.



La viscosité de Couette est très différente de celle dans un vaisseau ou un tube lorsque le taux de cisaillement varie de 0 à 50 [SI] (unités normalisées). La différence est expliquée dans une publication ayant observé la marginalisation des globules rouges dans les cellules de Couette “Reduction in viscosity is a result of RBCs being excluded from the working portion of the bearing—that is, the gap between bearing faces” (Leslie et al, 2013). Leslie, L. J., Marshall, L. J., Devitt, A., Hilton, A., & Tansley, G. D. (2013). Cell Exclusion in Couette Flow: Evaluation Through Flow Visualization and Mechanical Forces. Artificial Organs, 37(3), 267-275

Les mesures de µPIV permettent de mesurer la taille de l'écoulement pariétal parabolique contenant des globules rouges (vert), de la couche purement plasmatique (jaune) qui est la "cell free layer", et la loi (2) de Poiseuille (bleu) à différents débits dans un vaisseau de 310µm de diamètre.



Complexité : Le sang a bien un écoulement

bouchon, un shear rate qui n'est pas continu,

mais il peut suivre une loi (2) de Poiseuille au sens

du rapport pression sur débit sans pour autant

avoir un véritable profil de vitesse parabolique

(loi (1) de Poiseuille).




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